MOOC:Compagnon Act41-s7

From Livre IPv6

Revision as of 12:47, 9 April 2016 by Vlerouvillois (Talk | contribs) (Pour aller plus loin)



Activité 42: Déployer IPv6 dans un réseau

Introduction

Une organisation, qui a une infrastructure de communication reposant sur le protocole IPv4, rencontre des difficultés pour faire croître son réseau de manière simple. Elle décide de passer à IPv6 avec comme cahier des charges:

  • Déployer IPv6 sans casser ou perturber ce qui fonctionne en IPv4,
  • Rendre le déploiement complètement transparent à l'utilisateur,
  • Viser des améliorations en terme de simplicité de gestion et de performance du réseau ou, au pire, que cette dernière soit équivalente à celle obtenue en IPv4,
  • Maintenir la connectivité avec l'Internet IPv4.

Afin d'avoir un déploiement progressif d'IPv6, elle s'oriente vers un déploiement en double pile qui est un des premiers mécanismes de coexistence, et le plus recommandé. En effet, il évite les problèmes liés à l'utilisation des tunnels. C'est la technique de transition originellement envisagée comme nous le rappellerons. La suite de ce document décrit les principaux éléments relatifs à l’activation d’une double pile. Dans un premier temps, l'adressage et la configuration à mettre en place sont étudiés. Ensuite, les points propres à chacune des principales applications réseaux (DHCP, DNS, pare-feu, supervision) à prendre en compte lors du passage en IPv6 sont soulevés. Enfin, les problèmes induits par l’utilisation de la double pile, ainsi que leurs solutions, sont précisés.

Technique de la double pile

Le mécanisme de double pile IP (Dual Stack) spécifié par le RFC 4213 consiste à doter un équipement du réseau de la pile protocolaire IPv6 en plus de celle d'IPv4, et d'affecter une adresse IPv4 et IPv6 à chaque interface réseau. La configuration des équipements réseaux en double pile exige clairement un double travail de configuration à la fois en IPv4 et en IPv6. L’utilisation parallèle des piles IPv4 et IPv6 vise l’intégration de IPv6 tout en assurant aux noeuds en double pile une compatibilité parfaite avec le réseau IPv4 existant. Ainsi, les noeuds double pile sont capables de communiquer dans les deux versions du protocole IP. La figure 1 illustre ce principe.

Figure 1: Architecture d'un noeud en double pile.

Dans le cas d'un routeur, il y a une table de routage pour chaque version du protocole. Le routeur est ainsi capable de relayer à la fois les paquets IPv6 et IPv4. De cette façon, IPv4 et IPv6 coexistent sur la même infrastructure. Autrement dit IPv6 n'a pas besoin d'une infrastructure dédiée.

La technique de la double pile résout le problème d'interopérabilité lié à l'introduction de la pile IPv6. Quand cela est possible, la communication se fait en utilisant la nouvelle version du protocole. Dès qu'un des éléments n'est pas compatible (réseau, système d'exploitation, application), le protocole IPv4 est utilisé. Mais pour que cette technique soit pleinement utilisable, cela implique que les routeurs entre les 2 correspondants soient aussi configurés pour router les deux types de paquets et que des applications soient capables de traiter des communications avec des adresses IPv6. Avec cette technique, il est possible d'écrire des applications en IPv6 qui restent compatibles avec les applications IPv4 existantes.

Plan de migration originel

La double pile a été proposée dès le début d'IPv6. Le plan originel de migration de l'Internet reposait d'ailleurs sur ce mécanisme comme le rappelle G. Huston[1] par la figure 2.

Figure 2: Plan de migration vers IPv6.

Cependant, le problème de la pénurie d'adresses IPv4 n'est pas résolu avec ce mécanisme, puisque l'interface réseau d'un équipement en double pile possède une adresse de chaque version IP. La croissance de l'internet continue de consommer des adresses IPv4. Mais cela offre la possibilité de déployer des noeuds IPv6 afin de vérifier dans un premier temps la compatibilité de son réseau avec ce nouveau protocole. Les problèmes inhérents à l'utilisation d'IPv6 peuvent donc être identifiés très tôt. Ensuite, dans un second temps, cela augmente la base des noeuds IPv6 installés. Au fur à mesure du déploiement de ces noeuds, les communications pourront se faire de plus en plus souvent en IPv6. En effet, le client en double pile utilisera en priorité IPv6 pour joindre un serveur lui-même en double pile. Le protocole IPv4 reste cantonné au cas ou la tentative échoue en IPv6, ou si le serveur est resté sur l'ancienne version d'IP. Enfin dans un dernier temps, quand la majorité des services sera accessible en IPv6, la croissance de l’Internet pourra se poursuivre en IPv6 uniquement. Il deviendra envisageable de se passer d'IPv4 et de ses NAT (Network Address Translation). Un cercle vertueux est enclenché. L'effort d'interopérabilité aura changé de camp, rendant IPv4 encore plus complexe à utiliser, et par conséquent, accélérant encore le passage à IPv6.

Malgré la disponibilité des équipements supportant le double pile, les acteurs de l'Internet tels que les FAI (Fournisseur d'accès à Internet), les hébergeurs et les administrateurs de sites n’ont pas perçu l’urgence d’intégrer IPv6 dans leurs activités. Les doubles piles déployées sur les noeuds de l’Internet restent largement inutilisées par rapport au plan initial comme le montre la figure 3. La croissance de l’Internet s’est poursuivie en IPv4, et celle-ci a donc été affectée par plusieurs effets néfastes comme nous l'avons vu dans l'activité précédente. L'échec du plan initial est largement dû à la dérégulation appliquée dans le secteur des télécommunications qui a conduit les acteurs à privilégier le court terme, et les rend incapables de prendre en compte les besoins à plus long terme dans leurs activités[1]. Dans l'incapacité de réaliser un déploiement coordonné d'IPv6 qui profiterait à tous, chaque acteur a des actions individuelles qui sont raisonnables pour lui, mais coûtent cher à tous. Comme le note S. Bortzmeyer :"déployer IPv6 coûte à celui qui le déploie, ne pas le déployer coûte équitablement à tout le monde"[2].

Figure 3: Etat du plan de migration initial.

Avec l'intégration d'IPv6 dans les principaux systèmes d'exploitation[3] et malgré l'attentisme d'une grande majorité des acteurs de l'Internet, de plus en plus d'infrastructures de communication et d’hébergeurs proposent leurs services en IPv6. Certains FAI donnent maintenant une connectivité IPv6 à leurs clients et ceux qui n’ont pas cette chance peuvent se rabattre sur un accès IPv6 via des tunnels. Ces derniers sont souvent gratuits[4]. Les performances en IPv6 ont été fortement améliorées avec la multiplication des points de présence des FAI en IPv6. Un point de présence est un lieu géographique du FAI contenant un noeud de son réseau fédérateur, autrement dit, un point de connectivité pour le réseau de distribution de ses utilisateurs. De nos jours, comme un grand nombre d’applications (Mail, supervision, Firewall...) intégre désormais IPv6, il est beaucoup plus aisé de déployer IPv6 dans son réseau qu'il y a une dizaine d'années. Mais il faut faire ce passage le plus tôt possible de manière à traiter progressivement et sereinement les inévitables bugs logiciels et erreurs de configuration qui surviendront.

Etude et préparation du déploiement d'IPv6

En fonction du contexte de déploiement, les enjeux et contraintes ne seront pas les mêmes. Il faut distinguer le réseau domestique de l'utilisateur résidentiel qui se caractérise par l'absence d'administration, du réseau d'entreprise qui est administré.

  • Au sein d’un réseau domestique, les problématiques sont liées à la configuration des équipements terminaux, au déploiement des services de résolution de nom et configuration d’adresse, ainsi qu’aux performances perçues par l’utilisateur.
  • Dans le cas d’un réseau d’entreprise, il faudra ajouter les problématiques d’obtention du préfixe IPv6, la définition du plan d’adressage et la configuration du routage IPv6 en plus de celui d'IPv4. Comme les réseaux d’entreprises hébergent de nombreux services tels que le DNS ou le web, il faut aussi prendre en compte la mise à niveau de ces services.

Méthode

L'intégration de IPv6 dans un réseau d'entreprise demande de la méthode comme le montre le RFC 7381. Une phase d'étude et d'analyse est un préalable indispensable pour identifier les points bloquant à l'intégration de IPv6 dans le contexte professionnel.

L'intégration d'IPv6 commence par la désignation d'une personne en charge de suivre et coordonner les actions liées à l'intégration de IPv6. Sa première tâche consistera à dresser un inventaire des équipements du réseau afin de déterminer ceux qui supportent IPv6. Cet inventaire va être un élément clef pour orienter le choix des techniques de transition. Par exemple, si de nombreux segments du réseau ne sont pas "IPv6 compatible", il n'est pas question de tout jeter et de racheter, mais il faudra retenir la technique de transition adaptée à son réseau. En plus du matériel, il faut également faire l'inventaire des logiciels utilisés pour déterminer lesquels supportent IPv6 et lesquels nécessitent une mise à jour.

Les applications métiers développées en interne doivent être modifiées le plus tôt possible afin de les rendre capables de manipuler des adresses sur 128 bits. Le RFC 4038 propose des méthodes pour développer du code indépendant des versions de IP. Dans une note[5] S. Bortzmeyer propose d'utiliser des bibliothèques de langage de plus haut niveau d'abstraction. Ainsi les détails de la communication ne remontent pas jusqu'au développeur d'application. Le RFC 6724 indique comment sélectionner les adresses sources. Le RFC 6555 liste et solutionne les problèmes liés à la baisse de performance parfois observée dans les déploiements double pile. Ce dernier point est développé dans la section "Déploiement au niveau des services" de cette activité.

Un point dans cette phase d'étude à ne pas négliger concerne la sécurité. L'essentiel des failles de sécurité d'un réseau IPv6 est commune avec celles d'un réseau IPv4. Celles qui sont spécifiques à IPv6 peuvent être dues au manque de support d'IPv6 par les fournisseurs d'équipement de sécurité tels que les NIDS, pare-feu, outils de monitoring .... Ces dispositifs doivent supporter IPv6 aussi bien que IPv4 mais ce n'est pas toujours le cas. La faible maturité du code source est également une faille relevée par le RFC 7381. Les problèmes de sécurité spécifiques à IPv6 peuvent aussi être dus à la configuration. Les pare-feu et ACL des logiciels peuvent avoir des règles strictes pour IPv4 mais beaucoup moins pour IPv6. Étant donné que leur réseau est beaucoup moins sollicité en IPv6, des administrateurs sont tentés de ne pas fournir autant d'efforts que pour la sécurisation de IPv4. L'utilisation d'adresses protégeant la vie privée des utilisateurs [RFC 4941] complique également la tâche des administrateurs réseaux. Elles sont un frein pour une identification rapide des noeuds. Les mécanismes de transition reposant sur des tunnels encapsulant IPv6 sur les réseaux IPv4 apportent également des failles inhérentes à l'utilisation des tunnels [RFC 7123]. S'ils sont mal déployés, ils peuvent créer des back doors qui offrent un moyen de passer outre les sécurités de l'entreprise (en particulier avec Teredo et 6to4 [RFC 6180]).

Même si IPv6 n'est pas déployé dans un réseau, il faut malgré tout prendre en compte IPv6 pour la sécurisation. En effet, la plupart des hôtes sont désormais en double pile, ils ont une adresse IPv6 lien local qui peut être utilisée pour la communication entre les équipements d'un même lien. Ce trafic peut être filtré sur les équipements de niveau 2 s'ils le permettent. La double pile rend le noeud sensible aux attaques par fausses annonces de routeurs (rogues RA) [RFC 6104]. Ces annonces configurent chez les hôtes une fausse connectivité IPv6. Les hôtes enverront le trafic au routeur par défaut, lequel pourra fournir un connectivité IPv6 aux utilisateurs via des tunnels et mettre en œuvre des attaques de type MitM ( Man in the Middle). Le RFC 7113 propose une méthode d'analyse de l'en-tête IPv6 appelée RA-Guard à mettre en oeuvre au niveau des commutateurs. En dépit du fait que les annonces de routeurs illégitimes soient la plupart du temps le fait d'erreurs de configuration de machines hôtes qui émettent des RA, il ne faut pas néanmoins les négliger car une connectivité IPv6 non fonctionnelle ou de mauvaise qualité va affecter la qualité de service perçue par l'utilisateur (voir le paragraphe problèmes liés à la double pile de cette activité). Notons que la sécurisation des mécanismes d'auto-configuration n'est pas un problème spécifique à IPv6. En IPv4, des serveurs DHCP mal intentionnés (idem pour DHCPv6) peuvent également envoyer des informations erronées suite à une requête DHCP. Aussi bien les RA que le DCHP peuvent être sécurisé via l'authentification des messages mais ces solutions sont très peu déployées en pratique.

L'impact des différences entre les deux versions d'IP est souvent mal évalué. Par exemple l'utilisation d'un préfixe IPv6 GUA pour les hôtes et l'absence de NAT notamment dans les routeurs SOHO (Small Office / Home Office) est perçue comme une faille de sécurité. En plus des règles de filtrage nécessaires à la sécurisation, les RFC 6092 et RFC 7084 imposent que les routeurs SOHO filtrent par défaut les connections venant de l'extérieur au réseau. De cette manière, l'absence de NAT dans le cadre d'IPv6 n'ouvrira pas plus de faille de sécurité que sur les routeur SOHO en IPv4. La sécurité de IPv6 peut aussi être sur-évaluée comme dans les attaques par balayage de l'espace d'adressage. Malgré la taille gigantesque de l'espace d'adressage en IPv6, le RFC 7707 montre que IPv6 est malgré tout sensible aux attaques par balayage et qu'il faut s'en protéger. A cet effet, la RFC 6018 propose l'utilisation de greynets pour IPv4 et IPv6.

Ensuite vient la problématique du routage interne. Les principaux protocoles de routage intègrent depuis longtemps IPv6. OSPFv3 supporte IPv4 et IPv6 mais diffère de OSPFv2 sur certains points. Notons qu'il est possible d'utiliser des protocoles de routage différents pour le trafic IPV4 et IPV6. Le document [6] (en cours d'étude au moment de la rédaction de ce document) détaille les choix de conception spécifiques au routage IPv6.

La phase de préparation inclut également le plan d'adressage et l'allocation des adresses. Ces points sont abordés en détail dans la suite de ce document.

Il apparaît donc clairement que l'intégration de IPv6 nécessite d'impliquer de nombreux corps de métiers. Les formations adéquates doivent donc être proposées au personnel de l'entreprise. Cela inclut aussi bien les administrateurs système et réseau, ceux en charge du routage, de l'infrastructure, les développeurs que le personnel des centres d'appel du support technique. A titre d'exemple, citons l'article[7] qui rapporte l'expérience de la migration en IPv6 d'un industriel.

Vérification de la disponibilité d’IPv6

Le protocole IPv6 et ses protocoles associés sont pris en charge par les systèmes d'exploitation depuis plus de 10 ans. Il en découle qu'une grande majorité des noeuds de l'Internet comporte IPv6. Ainsi, au démarrage d'un noeud, même en l'absence d'un routeur IPv6 sur le lien de ce noeud, l'interface se configure automatiquement avec une adresse IPv6. Les exemples ci-dessous montrent que c'est le cas pour les OS les plus courants. Pour chacun des OS, une adresse lien-local (link-local address) a été allouée [voir la séquence 1]. Elle est utilisée pour les communications locales uniquement, comme par exemple le mécanisme de découverte de voisins [RFC 4861]. Elle n'est ni routable, ni par conséquent utilisable pour une communication indirecte (passant par un routeur).

Pour que cette vérification soit une formalité, il est nécessaire bien en amont de l'intégration d'IPv6 d'exiger dans les achats de matériels et logiciels la disponibilité d'IPv6 ou la compatibilité[8]. Par exemple, c'est ce qu'a fait le département nord-américain de la défense[9].

MacOSX 10.9.2

ifconfig en0
en0: flags=8863<UP,BROADCAST,SMART,RUNNING,SIMPLEX,MULTICAST> mtu 1500
    ether 14:10:9f:f0:60:46
    inet6 fe80::1610:9fff:fef0:6046%en0 prefixlen 64 scopeid 0x4
    inet 192.168.1.143 netmask 0xffffff00 broadcast 192.168.1.255
    nd6 options=1<PERFORMNUD>
    media: autoselect
    status: active

Linux 2.6.32 :

ifconfig eth0
eth0      Link encap:Ethernet  HWaddr 60:eb:69:9b:87:97  
          inet addr:195.154.87.139  Bcast:195.154.87.255  Mask:255.255.255.0
          inet6 addr: fe80::62eb:69ff:fe9b:8797/64 Scope:Link
          UP BROADCAST RUNNING MULTICAST  MTU:1500  Metric:1
          RX packets:75115704 errors:5 dropped:0 overruns:0 frame:5
          TX packets:17934141 errors:0 dropped:0 overruns:0 carrier:0
          collisions:0 txqueuelen:1000
          RX bytes:6583563265 (6.5 GB)  TX bytes:5944865545 (5.9 GB)
          Memory:feae0000-feb00000

Windows :

c:\> ipconfig
Windows IP Configuration
Ethernet adapter Local Area Connection:
Connection-specific DNS Suffix . : 
IPv6 Address. . . . . . . . . . . : 2001:db8:21da:7:713e:a426:d167:37ab
Temporary IPv6 Address. . . . . . : 2001:db8:21da:7:5099:ba54:9881:2e54
Link-local IPv6 Address . . . . . : fe80::713e:a426:d167:37ab%6
IPv4 Address. . . . . . . . . . . : 157.60.14.11
Subnet Mask . . . . . . . . . . . : 255.255.255.0
Default Gateway . . . . . . . . . : fe80::20a:42ff:feb0:5400%6
IPv4 Default Gateway  . . . . . . : 157.60.14.1
Tunnel adapter Local Area Connection* 6:
Connection-specific DNS Suffix . :
IPv6 Address. . . . . . . . . . . : 2001:db8:908c:f70f:0:5efe:157.60.14.11
Link-local IPv6 Address . . . . . : fe80::5efe:157.60.14.11%9
Site-local IPv6 Address . . . . . : fec0::6ab4:0:5efe:157.60.14.11%1
Default Gateway . . . . . . . . . : fe80::5efe:131.107.25.1%9
fe80::5efe:131.107.25.2%9
Tunnel adapter Local Area Connection* 7:
Media State . . . . . . . . . . . : Media disconnected
Connection-specific DNS Suffix . :

Obtenir un préfixe IPv6

Pour une communication indirecte, il faut compléter la configuration avec une adresse IPv6 unicast qui soit routable. Il existe deux types d’adresses qui répondent à ce critère : les adresses unicast locales ULA (Unique Local Address) [RFC 4193] et les adresses unicast globales GUA (Global Unicast Address) [RFC 3587]. Pour rappel, les différences majeures entre ces deux types d’adresses sont les suivantes :

  • Portée: les adresses GUA sont des adresses publiques tandis que les adresses ULA sont des adresses privées. Les adresses privées ne peuvent être utilisées que pour des communications dans un intranet.
  • Routage: Les adresses GUA peuvent être routées dans l’Internet. Les adresses ULA, routables uniquement sur une topologie privative, doivent être filtrées par les routeurs en bordure de site. Les prefixes ULA ne doivent pas être annoncés ni acceptés par les routeurs inter AS.
  • Obtention: Un préfixe ULA est généré de manière aléatoire par l’administrateur d'un site. Le GUA est obtenu auprès d'un tiers qui gère un registre d'allocation.

Mais quelle type d'adresse routable utiliser dans un site ? Quelles sont les cas d'utilisation des adresses ULA ? Les éléments de réponses à ces questions sont abordés dans le RFC 5375 qui développe les considérations à prendre en compte pour la mise en place de l'adressage unicast de IPv6. Ainsi, il recommande un préfixe de lien de /64 pour notamment le bon fonctionnement de la procédure d'auto-configuration d'adresses. Le RFC 6177 discute du préfixe à allouer à un site d'extrémité. Ce préfixe peut varier de /48 à /64. Il est recommandé de donner des possibilités de sous-réseaux à l'intérieur du site, ce que ne permet pas une allocation un /64.

Il faut tout d’abord noter que le préfixe alloué à un site est souvent très confortable au niveau du plan d'adressage. Il n'y a rien de commun avec ce qui est connu en IPv4. Lorsque qu’un site obtient un préfixe /48, il peut avoir 2^16 sous-réseaux différents et 2^64 noeuds dans chacun de ces sous-réseaux. Même l'allocation d'un préfixe /64, qui reste problématique pour déployer des sous-réseaux, donne un nombre d’adresses disponibles qui dépasse de plusieurs ordres de grandeur le nombre de noeuds qu’il peut y avoir dans un réseau.

Préfixe ULA

Le préfixe ULA [RFC 4193] est l'équivalent dans son usage aux préfixes privés d'IPv4 [RFC 1918], mais quasi unique et sans registre central. Ce dernier point rend le préfixe ULA non agrégeable, et donc les adresses ULA non routables sur l’Internet. La caractéristique d'unicité du préfixe ULA supprime le risque de conflit entre les 2 plans d'adressage lorsque 2 sites privées adressage ULA fusionnent, ce qui est loin d'être le cas en IPv4.

Ce RFC propose, dans un espace réservé fc00::/7, de constituer selon un algorithme des adresses quasi-uniques. Le format des adresses de type ULA est présenté dans l'activité 13. Il est rappelé que le format d'adresse ULA se compose d'un préfixe de 48 bits dont 40 bits (Global ID, GID) pour identifier le site. Les 40 bits du GID sont générés en utilisant une fonction de hachage (i.e. SHA-1) de l'heure et de l'adresse MAC de la machine exécutant l’algorithme détaillé dans le RFC. Outre le script, sous licence libre GPL, développé par Hartmut Goebel indiqué dans l'activité 13, il existe des sites pour générer automatiquement un préfixe ULA comme http://unique-local-ipv6.com/ ou http://www.kame.net/~suz/gen-ula.html, ou bien encore celui du SIXXS qui, en plus de fournir un préfixe ULA, l'enregistre dans un registre.

Notons que les raisons conduisant à l'utilisation des adresses privées d'IPv4 ne s'appliquent plus dans le cas d'IPv6. Citons :

  • Manque d’adresses IP publiques. Dans l’internet IPv4, la motivation principale pour l’utilisation des adresses privées est que l’espace d’adressage publique n’est pas suffisant pour l’ensemble des machines. Dans le cas d’IPv6, cette motivation n’a clairement plus lieu d’être.
  • Accroitre le niveau de sécurité. L’utilisation des adresses privées dans IPv4 induit que les machines situées derrière un NAT sont plus difficilement accessibles de l’extérieur par un unique effet de bord. Cela rend les machines derrière le NAT moins vulnérables aux attaques extérieures. Certains estiment donc que les adresses GUA exposent les machines directement aux attaquants de l’Internet et trouvent là une justification à l’utilisation d’adresses privées. On notera que cet argument est fallacieux, car avec un adressage privé, il faut malgré tout utiliser un pare-feu pour prévenir les attaques, ce qui montre que la sécurisation n'est pas une question de type d'adresse publique ou privée. Donc, une simple règle sur un pare-feu pour interdire l’ouverture de connexion depuis l’extérieur peut donc fournir le même niveau de sécurité qu’un NAT.
  • Faciliter de déploiement. L'accès Internet pour un site avec un adressage ULA nécessite un NAT66 dénommé aussi NPTv6 (Network Prefix Translation) [RFC 6296] pour le changement d’adresses ULA en GUA. En plus de l'achat et de la maintenance de cet équipement, ce sont certaines tares du NAT qui reviennent dans le réseau IPv6 [RFC 5902]. L'usage d'ULA dans le cas d'un accès Internet n'économisera pas l'obtention d'un préfixe GUA (pour l'extérieur du NAT). Au final, un réseau basé sur les adresses ULA introduit un travail plus complexe et plus important qu’un équivalent GUA.

Aussi, les seuls cas où l’utilisation des adresses ULA est réellement motivée sont les réseaux de tests (enseignement, bancs d'essais, déploiement de prototype) et les réseaux nécessitant un niveau de sécurité très élevé par un isolement complet comme les réseaux tactiques ou d'hôpitaux. Le RFC 6296 propose une autre utilisation d'un plan d'adressage construit sur un préfixe ULA. Pour des sites de taille petite ou moyenne, un préfixe ULA couplé à un NAT66, offre une solution simple pour changer d'opérateur ou pour gérer la multi-domiciliation sans nécessiter un préfixe PI (Provider Independent). Ainsi en cas de changement de fournisseur d'accès, la renumérotation n'impactera que le NAT. Les adresses ULA forment ainsi une sorte de substitut aux adresses PI. Cette idée peut avoir un sens tant que des mécanismes simples de renumérotation du réseau ne seront pas effectifs [RFC 7010]. Cette question de la renumérotation n'est pas une question simple {RFC 5887]. Dans tous les autres cas, les adresses GUA sont plus faciles à déployer et à administrer. C'est aussi le conseil donné par l'auteur de cette note[10].

Préfixe GUA

Pour rappel, les préfixes GUA sont sous l'autorité de l’IANA[11] qui délègue aux RIR (Regional Internet Registry) l'allocation. Les RIRs délèguent eux-mêmes aux NIR (National Internet Registery) puis aux LIR (Local Internet Registery) et/ou finalement aux FAI. En Europe, le RIR est le RIPE-NCC. Il délègue directement aux FAI/LIR sans passer par des NIR. Les LIR et certains FAI se voient déléguer des préfixes /32. Ils ont obligation d’allouer les blocs IPv6 à des utilisateurs finaux tels que des organismes ou des FAI. Le RIPE-NCC ne prévoit pas de recommandation sur la taille des préfixes alloués par les LIRs aux FAIs.

Le préfixe GUA peut être alloué par un FAI, par un LIR ou par un RIR. Le choix s'effectue selon le type de préfixe à détenir. Si le préfixe est destiné à un site, on parlera d'un préfixe PA (Provider Assigned ou Provider Aggregatable) ; si le site est multi-domicilié, il faut un préfixe dit PI (Provider Independent).

Le préfixe de type PA est attribué par le FAI/LIR. Il n'y a pas de formalités particulières à remplir, le préfixe est alloué en même temps que la connectivité. Le préfixe est donc spécifique à un site et associe ce site à un opérateur. Ce dernier assure les services suivants :

  • allocation du préfixe à l’organisme,
  • transport du trafic de l’utilisateur,
  • annonce d'un préfixe BGP dans lequel est inclus celui du site.

La taille du préfixe alloué varie selon les opérateurs. Certains donneront un /52, voir un /60. Le préfixe alloué est au maximum /64. Si un site doit avoir un préfixe de moins de 48 bits, la demande doit être motivée. Si le FAI change, il faut rendre le préfixe et renuméroter le réseau du site, et cette action est pénible [RFC 5887]. Pour éviter ce désagrément, il est possible de demander un préfixe PI auprès d'un RIR. Ce type de préfixe est une nécessité pour les sites multi-domiciliés ou pour les sites qui doivent changer de FAI sans changer d’adresses. La demande de préfixe doit être faite directement à RIPE-NCC qui attribue un préfixe /48 ou un préfixe de longueur inférieure si la demande est motivée. Il faut que l'organisation qui en fait la demande soit membre de RIPE ou que la demande soit parrainée par un FAI/LIR membre de RIPE. Il est ensuite nécessaire que les FAI annoncent et routent le préfixe PI.

A noter que si un FAI ne propose pas IPv6, il est possible d'utiliser un service de tunnels. Certains d’entre eux (e.g. Hurricane Electric) attribuent gratuitement un préfixe /48 lors de l’établissement d'un tunnel.

Définition du plan d’adressage de sous-réseau avec IPv6

Les préfixes alloués dans la majorité des cas laissent de nombreux bits pour gérer les liens à l'intérieur d'un site. Lorsque le préfixe alloué au site est un /48, le SID (Subnet Identifier) est codé sur 16 bits. Il est évident que la structuration du plan d'adressage est radicalement différente selon que l'on soit en IPv4 ou en IPv6. En IPv4, l'essentiel du travail sur l'adressage a pour but d'économiser les quelques adresses disponibles, pour pouvoir fonctionner malgré la pénurie. En IPv6, ce problème disparaît et la définition du plan d'adressage vise la facilité de son administration tout en rendant l'agrégation de routes efficace. La mise en oeuvre des politiques de sécurités doit aussi être prise dans la définition du plan d'adressage interne. Dans l'article[12], l'auteur montre comment ces critères doivent servir à guider la définition d'un plan d'adressage pour un site. Comme nous l'avons vu dans l'activité 16, il est possible de structurer le routage interne de plusieurs manières :

  • reproduire le schéma IPv4 déjà déployé. Le préfixe privé 10.0.0.0/8 offre 24 bits à l’administrateur pour la structuration des sous réseaux. En réalité, les plus petits sous-réseaux ont rarement des préfixes supérieur à /24, ce laisse 16 bits pour la structuration. Dans la plupart des cas, il est donc possible de reproduire le plan d’adressage privé IPv4 à l’aide des 16 bits du SID.
  • numéroter de manière incrémentale les sous réseaux (e.g. 0001,0002,0003…). Simple à mettre en oeuvre, cette technique peut cependant conduire à un adressage plat et difficile à mémoriser. Elle peut également complexifier l’écriture des règles de filtrage ainsi que l’agrégation.
  • utiliser le numéro de VLAN, ce qui est tout à fait possible puisque le VLAN ID n’occupe que 12 bits. Cette méthode permet d’éviter de mémoriser plusieurs niveaux de numérotation.
  • séparer les types de réseaux et utiliser les chiffres de gauche pour les désigner. D'autres niveaux de structuration peuvent être définis sur les bits restant. Cette technique permet de faciliter les règles de filtrage, tout en utilisant des règles appropriées à la gestion de ces sous-réseaux pour la partie de droite. À titre d'exemple, le tableau 1 contient le plan de numérotation d'une université localisée sur plusieurs sites prenant en compte les différentes communautés d'utilisateurs. Ainsi, le préfixe :
    • 2001:DB8:1234::/52 servira pour la création de l'infrastructure, donc en particulier les adresses des interfaces des routeurs sont prises dans cet espace ;
    • 2001:DB8:1234:8000::/52 servira pour le réseau Wi-Fi des invités. La manière dont sont gérés les 12 bits restants du SID n'est pas spécifié;
    • 2001:DB8:1234:E000::/52 servira pour le réseau des étudiants. L'entité représente la localisation géographique du campus. Dans chacun de ces campus, il sera possible d'avoir jusqu'à 16 sous-réseaux différents pour cette communauté.
Communauté 4 bits 8 bits 4 bits
Infrastructure 0 valeurs spécifiques
Tests 1 valeurs spécifiques
Tunnels 6 allocation de /60 aux utilisateurs
Invités Wi-Fi 8 valeurs spécifiques
Personnels A Entité sous-réseaux
Etudiants E Entité sous-réseaux
Autre F valeurs spécifiques

Tableau 1: Exemple de découpage du SID.

Déploiement des équipements en double pile

Les services indispensables au fonctionnement d'un réseau doivent être déployés et ceux existants doivent intégrer IPv6, e.g. la configuration d’adresse (DHCP / SLAAC), le nommage (DNS) et l’administration de l’infrastructure (supervision, sécurité et métrologie). Cette section traite des problématiques liées à leur configuration.

Un hôte en double pile présente une interface réseau de la manière suivante dans un environnement Unix:

eth0: flags=8843<UP,BROADCAST,RUNNING,SIMPLEX,MULTICAST> mtu 1500
inet 192.108.119.134 netmask 0xffffff00 broadcast 192.108.119.255
inet6 2001:db8:1002:1:2b0:d0ff:fe5c:4aee/64
inet6 fe80::2b0:d0ff:fe5c:4aee/64
ether 00:b0:d0:5c:4a:ee
media: 10baseT/UTP <half-duplex>
supported media: autoselect 100baseTX

Notons qu’un réseau peut être entièrement en double pile ou partiellement, à condition que les segments IPv4 soient masqués par des tunnels dans lesquels IPv6 est encapsulé dans IPv4. Tous les équipementiers de coeur de réseau supportent ces mécanismes, ce qui permet rapidement d'acheminer du trafic IPv6 dans une infrastructure IPv4 existante. Lorsque le déploiement est partiel, une attention particulière doit être portée au protocole de routage utilisé, l'activation de fonctions permettant de gérer plusieurs topologies (v4 et v6) pouvant s'avérer nécessaire.

Configuration d'adresses

La configuration des interfaces réseaux en IPv6 peut s'effectuer selon plusieurs méthodes.

Avec la méthode SLAAC (StateLess Address Auto Configuration ) [RFC 4862], l’interface génère elle-même ses adresses à partir des informations émises par le routeur local. Si SLAAC est sans doute plus simple et plus rapide à déployer, elle peut présenter des inconvénients :

  • Absence du DNS. SLAAC n'intègre pas de champ pour transmettre le serveur DNS local. Ce n’est pas un problème si l’adresse d’un serveur DNS est obtenue via le DHCP de l’interface IPv4, mais cela rend donc indispensable l’existence d’une telle interface. Toutefois, le RFC 6106 rend désormais possible l’ajout d’une option DNS dans les messages RA (Router Advertisment).
  • Absence de contrôle sur les adresses. Il n'y a pas de moyen fiable d’enregistrer l’association adresse MAC-adresse IP. Le logiciel NDPMON (Neighbor Discovery Protocol Monitor) permet cependant d'écouter le réseau en permanence et de mémoriser les correspondances entre les adresses IP et MAC.

Avec DHCPv6 [RFC 3315], le client obtient son adresse et ses informations auprès du serveur DHCP. Ce dernier peut donc contrôler les informations indiquées à chaque machine, contrôler les adresses attribuées et mémoriser ces dernières. Le serveur DHCP est aussi l'endroit logique où faire des mises à jour dynamiques du DNS pour refléter les changements d'adresses IP. Comme DHCP offre davantage de contrôle que SLAAC, DHCP est en général apprécié dans les réseaux d'organisations.

Lorsque DHCP est utilisé dans sa version sans état comme le permet le RFC 3736, il sert à distribuer uniquement des paramètres statiques comme les adresses des serveurs de noms. Dans cette situation la méthode SLAAC est utilisé pour allouer les adresses et le noeud récupérer les informations manquantes à sa configuration par le serveur DHCP sans état.,

Lors du déploiement de DHCPv6 en double pile, l’inconvénient majeur va être la gestion des informations recueillies via des sources différentes. Ce problème bien connu est notamment décrit dans le RFC 4477. En effet, des informations pouvant être reçues à la fois du DHCPv4 et du DHCPv6, il peut y avoir inconsistance. Comme par exemple, des informations relatives à la pile IPv6 renseignées manuellement dans la configuration de l’OS (e.g. /etc/resolv.conf) peuvent être effacées par le client DHCPv4. Le client doit savoir s’il doit utiliser les informations les plus récentes ou fusionner ces informations selon des critères bien précis. Ce problème peut être d’autant plus prononcé si les réseaux IPv6 et IPv4 n’ont pas les mêmes administrateurs.

Résolution d’adresses

Les points importants relatifs au DNS (Domain Naming System) dans le déploiement d'IPv6 sont présentés dans le RFC 4472. Pour IPv6, le DNS est d'autant plus indispensable que les adresses sur 128 bits ne sont pas simples à lire ni à mémoriser. Le DNS est utilisé pour associer les noms avec les adresses IP. Un nouvel enregistrement (resource record) appelé AAAA a été défini pour les adresses IPv6 [RFC 3596]. Les résolveurs DNS (clients du DNS) doivent être capables d’interpréter les enregistrements A pour IPv4 et les enregistrements AAAA pour IPv6. Lorsque les deux types sont retournés par le serveur DNS, le résolveur doit trier l’ordre des enregistrements retournés de manière à favoriser IPv6. Par ailleurs, le client (de la couche application) doit pouvoir spécifier au résolveur s’il souhaite obtenir les entrées de type A ou AAAA.

Administration du réseau

Il est indispensable que IPv6 et IPv4 soient iso-fonctionnels. Pour ce faire, il faut maîtriser les outils d'administration réseau IPv6 et en particulier s'assurer du bon fonctionnement des services et équipements IPv6.

L’administration d’un réseau peut se décomposer en trois tâches qui sont la supervision, la métrologie et la sécurité. Les pare-feux sont depuis longtemps capables d’appliquer leurs règles de filtrage au trafic IPv6. Il est à noter que les mécanismes de chiffrement et les certificats n’ont pas été impactés par IPv6. Les outils de métrologie sont généralement assez faciles à adapter à IPv6 puisqu’il n’y a peu de dépendance entre les logiciels.

La difficulté principale réside sur les outils de supervision. Le protocole de supervision SNMP sert à collecter dans des bases de données appelées MIBs (Management Information Base) diverses informations qui sont stockées sur les équipements réseaux. Net-SNMP intègre IPv6 depuis 2002. Cette intégration était nécessaire pour interroger les noeuds uniquement IPv6. Cette intégration d'iPv6 n'était pas indispensable dans le cas d'un réseau double pile puisqu'il est possible d'interroger un équipement via SNMP depuis son interface IPv4. L'évolution des MIBs a été beaucoup plus délicate mais elle est achevée et la RFC 2851 prévoit que l'adresse IP soit de longueur variable et constituée de deux champs, un pour identifier le type d’adresse et un pour l’adresse elle-même.

Les principales solutions de supervision (e.g. Nagios) et équipementiers supportent désormais largement IPv6. Il faut malgré tout s’assurer que l’ensemble des outils utilisés dans le cadre de SNMP supportent la version unifiée et modifiée de la MIB.

Déploiement d'IPv6 pour les services

Au niveau des applications

La version de protocole IP utilisée doit être transparente au niveau de l'application et cela ne doit rien changer. Il faut cependant que l'application puisse exprimer l'adresse de son correspondant que ce soit en IPv4 ou en IPv6. Pour cela, les adresses doivent être codées sur 128 bits. Un type d'adresse IPv6 a été défini à cet usage, à savoir comporter l'adresse IPv4 d'une communication IPv4 (IPv4 mapped IPv6 address). L'adresse IPv4 est imbriquée dans une adresse IPv6 comme le montre la figure 4. Le format des adresses IPv4 imbriquées est ::FFFF:<ipv4 address>, comme par exemple ::FFFF:192.0.2.1. Avec ce type d'adresse, l'espace d'adressage IPv4 est vu comme une partie de l'espace d'adressage IPv6.

Figure 4: Adresse IPv4 imbriquée dans une adresse IPv6.

Quand la pile IPv4 d'un équipement reçoit un paquet et qu'une application utilise le format d'adresse d'IPv6, les adresses IPv4 imbriquées source et destination sont construites à partir des informations contenues dans l'en-tête du paquet. Réciproquement quand une application émet des paquets avec des adresses IPv4 imbriquées, ceux-ci sont aiguillés vers la pile IPv4.

L'exemple suivant illustre ce fonctionnement. Le client Telnet compilé en IPv6 et fonctionnant sur une machine double pile peut contacter les équipements IPv4 en utilisant leur adresse IPv4 mais bien sûr les équipements IPv6 avec leur adresse IPv6.

>telnet rhadamanthe
Trying 2001:db8:1002:1:2b0:d0ff:fe5c:4aee...
Connected to rhadamanthe.ipv6.rennes.enst-bretagne.fr.
Escape character is '^]'.
 
FreeBSD/i386 (rhadamanthe.ipv6.rennes.enst-br) (ttyp3)
 
login:^D
>telnet bloodmoney
Trying ::ffff:193.52.74.211...
Connected to bloodmoney.rennes.enst-bretagne.fr.
Escape character is '^]'.
 
 
SunOS UNIX (bloodmoney)
 
login:

Nous venons de le voir : une application compatible IPv6 peut dialoguer indifféremment en IPv4 et en IPv6, alors qu'une application utilisant un format d'adresse IPv4 restera limitée à ce protocole. Ceci ramène au problème du développement du code lié à la communication des applications. Plus généralement, le développement d'applications IPv6 compatible demande de nouvelles méthodes et pratiques au niveau de la programmation du fait du changement de la longueur de l'adresse IP, de la suppression de la diffusion d'IPv4[13]. Pour rendre une application "IPv6 compatible", il faut qu'elle soit compilée ou recompilée avec l'interface de programmation (API) IPv6 ou, pour les applications écrites avec un langage de haut-niveau d'abstraction, que la bibliothèque intègre IPv6. Ceci n'est bien sûr possible que sur les équipements pourvus d'un système ayant une pile IPv6, ce qui est aujourd'hui dans la quasi-totalité des cas vrai. Reste le problème des applications non recompilables (code source non disponible) : ce genre de situation est traité par la suite dans l'activité de traduction.

Devant le coût des développements, la problématique de la compatibilité des applications à IPv6 doit être traitée dès le début dans la stratégie de migration vers IPv6.

Problèmes liés à la double pile

L’intégration de IPv6 devrait être indolore : l'utilisateur ne devrait pas voir de différence lorsqu'il accède à un service en IPv6. Cependant, en l'absence d'un minimum de précaution, ce souhait peut ne pas être satisfait et le déploiement d'IPv6 en double pile peut dégrader le fonctionnement des services. Nous allons voir quels sont les problèmes engendrés au niveau du service perçu et comment les prévenir.

Le premier problème porte sur la phase d’établissement de la connexion comme expliqué par cet article[14]. Pour l'illustrer, prenons un service “monservice.org” accessible aux adresses IPv4 et IPv6 comme représenté sur la figure 5. L’application du client demande au resolveur DNS la liste des adresses IP pour joindre “monservice.org” et ce dernier retourne une adresse IPv6 et une adresse IPv4. Conformément aux préconisations du RFC 6724, la connexion commence avec l’adresse IPv6. Si la connexion IPv6 échoue, une autre adresse, potentiellement en IPv4, sera essayée. Si le service est accessible sur une des adresses retournées par le DNS, le client finira par établir une connexion au service. L’inconvénient de cette méthode est que les tentatives de connexion sont bloquantes et donc effectuées de manière séquentielle. Le délai d’attente pour considérer qu’une connexion a échouée est de l’ordre de plusieurs dizaines de secondes.

Dans l'état actuel du déploiement d'IPv6, bien des sites ont une connexion IPv6 totalement ou partiellement inopérante. Si un serveur fonctionne en IPv4 et en IPv6, et que son client n'a qu'IPv4, il n'y aura pas de problème. Mais si le client a IPv6, tente de l'utiliser, mais que sa connectivité IPv6 est plus ou moins défaillante, il aura des temps de réponse très importants. Les utilisateurs percevront le service comme très dégradé. C’est la raison pour laquelle, encore aujourd’hui, il y a si peu de sites Internet accessibles en IPv6.

Figure 5: Etablissement de connexion d'un client en double pile.

Le second problème est relatif à la taille des paquets IPv6 comme montré dans cet article[15]. Une fois la connexion établie en IPv6, l’utilisateur peut rencontrer des problèmes pour les échanges avec le serveur. En effet, en raison de l'utilisation de tunnels, IPv6 présente un problème de MTU bien plus souvent que IPv4. Le lien « standard » sur Internet a une MTU de 1500 octets, héritée d'Ethernet. Si, de bout en bout, tous les liens ont cette MTU, la machine émettrice peut fabriquer des paquets de 1500 octets et ils arriveront intacts. Mais s'il y a sur le trajet un tunnel qui réduit la MTU, le problème de MTU peut se produire comme la figure 6 le représente. Le problème de MTU se manifeste par le fait que les paquets de petite taille, tels que ceux utilisés lors de l’établissement de la connexion passent mais les gros paquets, comme les transferts de fichier avec HTTP bloquent mystérieusement. Les paquets dépassant la MTU du chemin ne sont jamais remis à la destination. Si les messages ICMP avertissant de ce problème sont bloqués par un routeur sur le chemin, la source n'apprendra pas le problème et ne pourra donc pas s’adapter. La connexion va finalement se fermer pour cause de d'inactivité (aucune réception n'est faite). Ce problème est assez sérieux dans l'Internet et a fait l'objet du RFC 4459. Dans l'article[15], le problème de MTU est détaillé et illustré par des captures de traces.

Figure 6: Le problème de MTU.

Le troisième problème porte sur la performance perçue pour un service reposant sur la connectivité IPv6. Celle-ci sera évaluée comme dégradée à l'image de l'interactivité. La connectivité IPv6 est souvent constituée de tunnels. Si les sorties des tunnels sont trop éloignées du point d'entrée, le temps de réponse peut significativement augmenter et dépasser les valeurs souhaitables pour les applications interactives (ToIP, vidéo-conférence, jeux en ligne...) et même pour le Web. L’utilisateur verra alors sa qualité de service chuter par rapport au réseau simple pile IPv4 et ce même si la connectivité IPv6 est parfaitement fonctionnelle. Ce problème de délai important en IPv6 est illustré par la figure 7 dans laquelle le temps de réponse (noté RTT Round Trip Time) est plus long en IPv6 du fait d'un chemin plus long en terme de noeuds de commutation et en distance.

Figure 7: Illustration des délais importants en IPv6.

Des solutions ont été proposées pour éviter que les utilisateurs desactivent IPv6 en réponse à la baisse de performance qu’ils observent. Il est ici intéressant de noter que les problèmes que nous venons de décrire trouvent leur origine dans l'utilisation d'IPv4 dans la connectivité IPv6. La bonne solution serait de généraliser IPv6 pour un usage sans IPv4. En attendant, les solutions proposées sont détaillées par la suite afin que IPv6 fonctionne aussi bien qu'IPv4.

Les problèmes qui apparaissent lors de la phase d’établissement de la connexion sont dus au fait que le client tente de se connecter séquentiellement aux différentes adresses du service. IPv6 étant testé en premier lieu, il faut attendre que la tentative de connexion échoue, ce qui peut prendre plusieurs secondes. Le RFC 6555 propose d'essayer d'établir une connexion TCP à la fois en IPv4 et en IPv6 et de conserver la première connexion établie. Le RFC précise que les demandes de connexion doivent être émises de sorte que ce soit celle portée par IPv6 qui puisse être conservée. Les navigateurs Internet ont pris en compte ces recommandations mais les mises en oeuvre divergent comme le rapporte l'article[16]:

  • Le navigateur Safari conserve dans une table le délai moyen pour atteindre chaque adresse du serveur. L’adresse ayant le délai le plus court est utilisée en priorité, mais si elle ne répond pas avant le délai attendu, l’adresse suivante est essayée. La demande de connexion est émise en décalé sur les différentes adresses du serveur. La première connexion établie sera utilisée pour la suite des échanges. Cette solution peut cependant induire un délai non négligeable si le serveur comporte de nombreuses adresses et que seule la dernière (celle de plus long délai moyen) est accessible.
  • Le navigateur Chrome mesure les délai pour l’obtention des adresses IPv4 et IPv6 via le DNS. Il tente d’établir une connexion avec le protocole dont l’adresse a été obtenue en premier. Notons que pour maximiser les chances de réussite, il envoie deux segments SYN en parallèle avec des ports source différents. Si aucun segment SYN+ACK n’est reçu après 250ms, un dernier segment SYN est émis depuis un troisième port. Si aucun segment SYN+ACK n’est reçu après un total de 300ms, le protocole suivant sera essayé. Dans le cas où un problème apparaît avec un seul des protocoles, le délai est donc au maximum allongé de 300ms. Si un problème apparaît avec les deux protocoles, c’est la méthode par défaut de l’OS qui sera utilisée. Notons que si le RTT est supérieur à 300ms, les deux protocoles seront systématiquement utilisés.
  • Le navigateur Firefox implémente strictement les recommandations du RFC 6555 et essaye les deux protocoles en parallèle.

Des mises en oeuvre similaires à celles des navigateurs sont à développer pour les clients des différentes applications (e.g. mail, VoIP, chat ...). Pour ne pas avoir les inconvénients des accès séquentiels, il faudrait ne pas attendre l’expiration des temporisateurs de l’OS mais choisir des temps de garde plus agressifs et ayant moins d’impact pour les utilisateurs. Par exemple, si IPv6 ne répond pas avant un délai de 300ms ou deux RTT, alors IPv4 est essayé.

Notons cependant que le parallélisme a un effet pervers pour les opérateurs. En effet, l’utilisation des CGN pour la connectivité IPv4 leur est coûteuse et le maintien des états relatifs à l’ouverture de chaque connexion consomme des ressources. En suggérant l’ouverture de plusieurs connexions en parallèle, le RFC 6555 va à l’encontre des intérêts des opérateurs et potentiellement des utilisateurs si les CGN sont saturés. C'est pourquoi, il suggère d’essayer en priorité le protocole qui ne générera pas d’état dans le réseau, à savoir IPv6.

Pour les problèmes de MTU, la solution réside dans le fait de forcer les utilisateurs à choisir une faible MTU, par exemple 1400 octets, dans l'espoir qu'il n'y ait pas un lien sur la route dont la MTU soit inférieure à cette valeur. Cela peut être fait lors de la configuration de l'interface réseau ou lors de l'établissement d'une connexion TCP en réduisant la taille maximum des segments autorisée. Cette réduction est effectuée par le routeur (MSS clamping). Dans le RFC 4821, les auteurs proposent une solution qui ne repose pas sur ICMP. L'idée consiste à ce que TCP relève la taille des segments perdus. Si ce sont les segments de grande taille, TCP diminue la MSS (Maximum Segment Size) de lui-même (et donc par voie de conséquence, la valeur de la MTU).

Les problèmes de performance en terme de délai sont dus à l'utilisation de tunnels. La solution réside dans la sélection de point de sortie plus proches pour les tunnels. Au moment de la rédaction de ce document, le problèmes de délai n'a pas de solution (au niveau application) faisant l'objet d'une recommandation similaire à celle du RFC 6555.

Conclusion

Le mécanisme de double pile permet de résoudre les craintes liées à la migration vers IPv6. Dès lors, il ne s'agit plus d'une migration mais d'une intégration de IPv6 dans le réseau existant. Le réseau IPv4 reste pleinement fonctionnel et l'intégration de IPv6 ne risque pas de compromettre le bon fonctionnement des services déployés. En effet, quand cela est possible, la communication se fait en utilisant la nouvelle version du protocole. Dès qu'un des éléments n'est pas compatible (réseau, système d'exploitation, application), le protocole IPv4 est utilisé. Le principal intérêt réside dans l'adaptation progressive de son système d'information et de son personnel à IPv6.

Notons que le déploiement double pile ne doit être que transitoire car il ne résout pas le problème de la pénurie d'adresses puisque chaque machine doit disposer d'une adresse IPv4 et d'une adresse IPv6. Cela complique aussi les mécanismes de configuration automatique et augmente la charge pour l'administrateur réseau. Lors de l'activation de IPv6 pour un service existant en IPv4, il faut prendre des précautions afin que la qualité perçue par l'utilisateur ne soit pas dégradée.

Références bibliographiques

  1. 1.0 1.1 Huston, G. (2008). The ISP Column. The Changing Foundation of the Internet: Confronting IPv4 Address Exhaustion
  2. Bortzmeyer, S. IPv6 ou l'échec du marché
  3. Wikipedia. Comparison of IPv6 support in operating systems
  4. Linux Review. Free IPv4 to IPv6 Tunnel Brokers
  5. Botzmeyer, S. (2006). Programmer pour IPv6 ou tout simplement programmer à un niveau supérieur ?
  6. Matthews, P. Kuarsingh, V. (2015). Internet-Draft. Some Design Choices for IPv6 Networks
  7. Cisco. (2011). White paper. Solution Overview—Getting Started with IPv6
  8. RIPE documents. (2012). Requirements for IPv6 in ICT Equipment
  9. Marsan, C.D. (2010). Network World. U.S. military strong-arming IT industry on IPv6
  10. Horley, E. (2013) IPv6 Unique Local Address or ULA - what are they and why you shouldn't use them
  11. IANA. IPv6 Global Unicast Address Assignments
  12. Rooney, T. (2013). Deploy 360 Programme. Internet Society. IPv6 Address Planning: Guidelines for IPv6 address allocation
  13. Cisco. (2011); White paper. IPv6 and Applications
  14. Bortzmeyer, S. (2011). Le bonheur des globes oculaires (IPv6 et IPv4)
  15. 15.0 15.1 Huston, G. (2009). The ISP Column. A Tale of Two Protocols: IPv4, IPv6, MTUs and Fragmentation
  16. Huston, G. (2012). The ISP Column. Bemused Eyeballs: Tailoring Dual Stack Applications for a CGN Environment

Pour aller plus loin

Scénarios de déploiement

Sécurité

Pour développer des applications compatibles avec IPv6 :


RFC et leur analyse par S. Bortzmeyer :

Présentations sur le déploiement d'IPv6

Personal tools